Vous dites : C’est épuisant de s’occuper des enfants. Vous avez raison. Vous ajoutez : Parce que nous devons nous abaisser à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. Vous vous trompez. Ce n’est pas cela qui nous fatigue, mais c’est le fait que nous devons nous élever jusqu’à la hauteur de leurs sentiments. Nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak

Quand je redeviendrai petit © AFJK, 2001

Le projet pédagogique et éducatif

Qu’est-ce qu’un projet éducatif ?

Le projet éducatif reprend les valeurs communes aux parents dont l’enfant est à la Chouine. Par ce projet, les parents fixent les orientations et les priorités de la Chouine. Les professionnels, en établissant le projet pédagogique, veillent à appliquer les valeurs fixées par les parents dans le projet éducatif. Celui-ci permet également de présenter la philosophie de la Chouine à ses futurs adhérents. En rejoignant la Chouine, tous les parents s’engagent sur ce projet.
C’est un outil indispensable, il est à considérer comme un texte de référence sur les orientations éducatives et pédagogiques de la Chouine. Néanmoins, au vu du renouvellement permanent des familles, il doit faire l’objet d’une relecture régulière et peut être, si nécessaire, soumis de nouveau à discussion.

Un engagement humain…

La Chouine s’inscrit dans la lignée des premières crèches parentales impliquant les parents dans l’éducation de leurs enfants avec la participation de professionnels. Elle a été créée en 1983 par dix familles dans le 18 ème arrondissement de Paris. Les premiers professionnels ont intégré l’équipe deux ans plus tard.
La présence de professionnels de la petite enfance, garants du projet, procure un équilibre entre l’expérience et la pratique d’une part, et l’expérimentation et l’intuition des parents d’autre part. Si la crèche est avant tout un lieu d’accueil pour les enfants, c’est aussi un lieu de rencontre et d’échange entre adultes, l’enfant restant fondamentalement au cœur des préoccupations de tous.
Tous les acteurs de la Chouine (parents et professionnels) sont réunis par un engagement humain qui vise à faire vivre un lieu d’accueil différent du modèle dominant : il se distingue par un fort engagement parental dans la crèche (gestion administrative de la crèche et présence d’au moins un parent pendant les temps d’accueil des enfants), et par un dialogue permanent entre l’équipe de professionnels et les parents autour de la vie de la crèche, dans ces aspects tant pratiques que pédagogiques.

L’engagement parental assurant une qualité d’encadrement des enfants

La Chouine, en sa qualité de crèche parentale, se différencie d’un mode de garde où les parents déposent leur enfant le matin et le reprennent le soir, et où les échanges avec l’équipe se réduisent au minimum d’informations sur la journée passée. Les parents de la Chouine font le choix de s’investir fortement dans le lieu d’accueil de leurs enfants. L’association est constituée des parents qui assurent notamment la responsabilité d’un dossier de gestion, la participation aux Assemblées générales, aux débats et aux votes sur la vie de la crèche, ainsi qu’une permanence hebdomadaire à la crèche.
Cet engagement parental en termes de temps passé et de compétences utilisées dans la gestion des dossiers est la traduction concrète d’un engagement militant en faveur d’une autre répartition des temps travail/enfant. Cet engagement parental fort permet en outre d’assurer un taux d’encadrement important, puisque la présence des parents s’ajoute à celle des professionnels de la petite enfance et offre un cadre particulièrement sécurisant et épanouissant pour les enfants. Notre engagement parental à maintenir ce taux d’encadrement est le garant de la bonne application des valeurs de la Chouine.

La collégialité source de partage entre familles et d’éducation des enfants

La crèche est souvent la première expérience de vie en collectivité pour l’enfant. Elle est son premier modèle de fonctionnement de la société avec des règles, des rythmes imposés, etc. Nous faisons le choix de présenter à notre enfant un modèle de micro­société basé sur un fonctionnement égalitaire et non hiérarchique. L’ensemble des parents est régulièrement appelé à se prononcer sur les grandes décisions liées à la vie de la crèche. La collégialité comme principe de fonctionnement n’est pas seulement une manière de fonctionner entre adultes, elle permet une cohérence avec les règles de vie en collectivité qui régissent la vie des enfants à la crèche. L’égalité et le partage entre les enfants à la crèche sont des valeurs relayées par le principe de collégialité qui régit les rapports entre les parents. Il est toutefois entendu que ces principes de collégialité et de concertation ne doivent pas nuire à la vie quotidienne de la crèche quand celle-­ci requiert une réactivité et une prise de décision rapide par le bureau de l’association, notamment.

La singularité dans le collectif

La vie à la crèche va permettre à l’enfant de découvrir sa singularité dans un milieu collectif à travers la pédagogie active (définie en annexe) et les autres apports qui résultent d’une réflexion entre tous les acteurs de la crèche. La pédagogie de La Chouine s’inspire fortement de la pédagogie active dans ses grands principes :

  • l’enfant est au cœur de son apprentissage. Tout le dispositif pédagogique a pour visée l’épanouissement de son autonomie parmi les autres enfants. L’enfant n’est pas dans une position d’apprenant : il n’est pas considéré comme une pierre blanche sur laquelle l’adulte vient graver des apprentissages. On part du principe que l’enfant doit en priorité développer sa propre curiosité, sa propre imagination, sa propre créativité, sans intervention ou réappropriation par l’adulte. Pour cela, il n’a besoin que d’un environnement adapté : des jouets à sa portée pour qu’il puisse s’en servir s’il en a envie, des structures de développement adaptées à son âge, etc. Cet environnement est travaillé et pensé par les professionnels de la crèche ;
  • l’enfant crée son propre jeu, sans que celui­-ci soit soumis à des attentes d’adultes (obligation de participer, obtenir un résultat, en retenir des leçons, se conformer à un rythme qui n’est pas le sien). L’éducateur ou l’adulte présent est là pour observer et n’intervenir qu’en cas de besoin. Il veille à ne pas céder à la tentation d’amuser ou de distraire les enfants par l’imposition ou l’attractivité de son propre univers imaginaire ou créatif, évitant ainsi de cultiver une dépendance enfant/adulte opposée à la recherche d’autonomie ;
  • en plus des ateliers mis en place par l’équipe, des activités peuvent ponctuellement ou régulièrement être proposées aux enfants (à la crèche ou dans des lieux partenaires) à l’initiative des parents, à condition qu’elles s’effectuent dans le respect du projet pédagogique et soit discutées au préalable avec l’équipe des professionnels ;
  • la pédagogie active propose une éducation globale et ne hiérarchise pas les différents domaines éducatifs qu’ils soient intellectuels, artistiques, physiques, manuels ou sociaux. La vie en collectivité dès le plus jeune âge permet l’apprentissage de la vie sociale et une attention particulière est portée à la résolution des conflits. Les enfants sont encouragés, dans la mesure où leur sécurité est garantie, à trouver seuls des solutions ou des compromis en cas de frustration ou désaccord ;
  • l’application réelle, consciencieuse et quotidienne de la pédagogie active, telle qu’elle est pratiquée à la Chouine, n’est réalisable que grâce à un taux d’encadrement élevé. Celui-ci permet en particulier un suivi plus personnalisé de chaque enfant par une équipe disponible (libérée des tâches d’intendance, grâce aux permanences des parents) et suffisamment nombreuse pour l’accompagnement de chaque enfant. Il permet également de consacrer davantage de temps et d’énergie à l’observation et à un travail de fond sur les questions pédagogiques.

Le dialogue, clé du bon fonctionnement entre parents et professionnels, au bénéfice des enfants

Les rapports entre tous les acteurs de la crèche sont régis par la notion de dialogue, qu’il s’agisse du dialogue entre les parents et les professionnels autour de l’enfant permettant une continuité du lien maison-­crèche, de l’accompagnement à la parentalité, ou du dialogue entre professionnels relatif à la réflexion sur leurs pratiques. Il s’agit aussi de l’échange entre parents – la crèche parentale offrant une possibilité extraordinaire de rencontres et d’échanges autour de la parentalité – comme du dialogue parents­-employeurs et professionnels-salariés.
La Chouine offre un espace où la parole est libre.

La continuité du lien maison-­crèche assurant une meilleure intégration des enfants

L’entrée à la crèche constitue bien souvent pour le petit enfant la première séparation d’avec la maison parentale. Une attention particulière est portée à ce que l’enfant puisse vivre en douceur cette séparation avant de reconnaître le lieu ‘crèche’ comme le sien. Pour cela, la priorité est donnée à un dialogue autour de l’enfant : pendant l’adaptation puis chaque jour de la venue de l’enfant.
Une période d’adaptation de deux semaines permet ces temps d’échange. Ce temps pris pour un dialogue autour de l’enfant va permettre aux parents de confier ce qui, avant l’entrée en crèche, relevait exclusivement de la sphère privée : les premiers mois de la vie de l’enfant, ses habitudes quotidiennes, ses besoins, ses rituels. L’adaptation se déroule en plusieurs étapes : dans un premier temps, l’enfant vient à la crèche avec ses parents afin de découvrir l’espace, puis de petites séparations sont initiées avant de les prolonger pour permettre à l’enfant d’expérimenter progressivement les temps importants de la journée (repas, sieste…). Cette période d’adaptation est également importante pour les parents, qui doivent appréhender le fonctionnement de la crèche ainsi que leur place particulière lorsqu’ils sont de permanence à la Chouine.
Par la suite, ce dialogue perdure, puisque les professionnels prennent un moment privilégié matin et soir pour les ‘transmissions’. L’échange et l’attention portée à créer des moments propices au dialogue sont la condition à l’établissement d’une confiance mutuelle : confiance des parents accordée aux professionnels à qui ils confient leur enfant, et par voie de conséquence confiance de l’enfant dans les personnes l’accueillant à la crèche.

L’apprentissage de l’exercice de la parentalité par l’échange

Le dialogue qui s’établit entre les parents et les professionnels, mais aussi avec les autres parents permet à chacun de s’épanouir dans son exercice de la parentalité. La vie de la Chouine permet aux parents qui le souhaitent un échange d’expérience et de savoir-­faire.

Le dialogue parents/professionnels favorisé

Par leurs connaissances et leurs qualifications, les professionnels sont les premiers garants de l’application du projet pédagogique. Le dialogue entre parents et professionnels sur la vie de la crèche permet de renforcer le savoir-­faire, la compétence et les connaissances théoriques des membres de l’équipe par les qualités d’intuition, d’imagination et de vigilance inhérentes à l’affect parental. La collaboration harmonieuse des parents et des professionnels donne lieu à un enrichissement mutuel. Les professionnels sont ouverts aux propositions des parents concernant la vie de la Chouine. Les parents apportent un œil neuf, des idées, des projets et permettent un échange dynamique.

Une réflexion constante sur les pratiques

Les professionnels entretiennent entre eux un dialogue continu sur leurs pratiques afin que celles-­ci puissent évoluer, se perfectionner, répondre à de nouveaux besoins. Il n’y a pas de pratiques figées, mais un souci constant de s’informer, de se former, de réfléchir collectivement ou grâce à des interventions extérieures sur ces pratiques.
Ce dialogue est à la fois interne, grâce notamment aux réunions d’équipe hebdomadaires, mais aussi par les formations, la documentation, le dialogue avec des intervenants extérieurs (psychologue, médecin référent de la crèche, etc.). Cette réflexion s’exerce également lors des Assemblées générales pédagogiques qui se tiennent toutes les huit semaines et sont l’occasion pour les professionnels et pour les parents de soumettre à l’Assemblée de nouvelles perspectives pédagogiques et de nouvelles pratiques.

Une crèche souhaitant promouvoir les pratiques respectueuses de l’environnement

La Chouine s’engage à tendre vers des pratiques respectueuses de l’environnement, à adopter autant que possible une attitude écoresponsable à tous les niveaux de la vie de la crèche : produits d’entretien verts, repas bio et de saison, tri des déchets, consommation d’énergie responsable, mise en place d’un compost, etc. La crèche est un espace citoyen, un lieu social qui se veut écologiquement responsable et qui se donne pour projet d’informer et de sensibiliser chaque acteur de la crèche, adultes comme enfants.
Cet engagement écologique de la Chouine a vocation à être transmis aux enfants qui fréquentent la crèche à travers des pratiques quotidiennes et des activités proposées : atelier jardin, sorties vertes…

Une crèche ouverte aux différences

La Chouine défend des valeurs d’ouverture afin de permettre à chacun, ­ enfant et adulte, ­ de s’épanouir en toute confiance : elle accueille et encourage l’expression du multiculturalisme des familles et des membres de l’équipe, elle est ouverte à la différence et au handicap, elle est non confessionnelle ; enfin elle porte une attention particulière à proposer un environnement ‘non genré’ pour les enfants.

Multiculturalisme

Tant du côté de l’équipe que des parents, la Chouine a historiquement attiré des personnes aux racines ou aux nationalités diverses. Il s’agit naturellement – tout en garantissant une homogénéité de comportement nécessaire au bien­-être collectif – de tirer tout le parti possible de cette diversité culturelle et d’enrichir la pédagogie de la crèche, à chaque fois que cela est possible, de nouvelles perspectives et d’horizons inédits en termes d’éducation, d’éveil à la musique et aux jeux, de rapport à l’autonomie, etc. Les différentes cultures peuvent également s’exprimer par la lecture, la cuisine…

Une approche ‘non genrée’

La Chouine encourage les adultes, ­ parents et professionnels, ­ à proposer un environnement “non genré” aux enfants, c’est à dire qui limite au maximum l’influence des clichés sexués. Dans ce but, une attention particulière est portée à la parole adressée à l’enfant : ­ pas de réflexions sexistes, les adultes s’adressent de la même manière aux filles et aux garçons. De même, le choix des livres et des jouets ne répond pas de ces clichés.

ANNEXE AUX PROJETS ÉDUCATIF ET PÉDAGOGIQUE

Pédagogie Active : historique et possible définition

La notion de pédagogie active, apparaît avec le mouvement de l’Éducation nouvelle, impulsé par d’éminents pédagogues : Korczak, Freinet… pendant la première moitié du 20ème siècle.

Ces derniers, suite au contexte politique mondial (guerres…) se sont interrogés sur la place donnée à l’enfant dans la société moderne. En effet, nombreux sont ceux qui ont partagé le quotidien d’enfants ayant vécu des traumatismes : déportation, perte des parents, etc.
On peut « résumer » leur vision commune par cette phrase : « Il s’agit de laisser les enfants émettre leurs propres hypothèses, faire leur propres découvertes, éventuellement constater et admettre leurs échecs mais aussi parvenir à de belles réussites dont ils peuvent se sentir les vrais auteurs » Célestin Freinet.

Cette nouvelle pédagogie a d’abord été instaurée dans des lieux d’éducation et d’enseignements. Le postulat étant : pour comprendre, il faut un intérêt. Autrement dit : qu’est-ce qui préoccupe l’enfant ?

Après la seconde guerre mondiale, Emmi Pikler (pédiatre et pédagogue) est chargée par le gouvernement hongrois de créer une pouponnière accueillant les enfants orphelins. Cette pouponnière située rue Loczy, à Budapest, sera le théâtre d’une prise en charge novatrice et s’inscrivant dans cette réflexion contemporaine : l’enfant a des capacités, qui ne demandent qu’à éclore.

Cette dernière travaillant avec de très jeunes enfants, parvient, grâce à ses observations, à mettre en avant l’importance de la motricité libre, de l’activité spontanée de l’enfant, du respect par l’adulte de ces deux notions et enfin de l’importance d’espaces distincts rythmant le quotidien de l’enfant (espace de change, d’activité spontanée, de sommeil).

Durant la seconde moitié du 20ème siècle et jusqu’à nos jours, les principes enseignés par ces pédagogues restent des bases essentielles dans le travail de réflexion des professionnels de la petite enfance.

Aujourd’hui, cette préoccupation s’étend aux premiers éducateurs : les parents.

Nous pouvons essayer de donner une définition de ce que nous appelons « pédagogie active » grâce à ce rapide historique.

  • Dans un premier temps, il ressort que l’enfant est acteur de son développement (émotionnel, moteur, intellectuel) et que cet apprentissage passe par l’expérimentation (essai, tâtonnement, échec, réussite) ;
  • Ensuite, l’enfant peut exercer ses capacités, idéalement, dans un environnement répondant à son / ses intérêts ;
  • Enfin, il ressort que l’expérimentation de l’enfant est spontanée.

Ces 3 principes, bases de ce que nous tentons d’appliquer à la crèche, peuvent être qualifiés de valeurs éducatives et pédagogiques.

– Pour plus de clarté –

  • La différence entre pédagogie et éducation : ces deux notions sont étroitement liées, Émile Durkheim (sociologue) définit le plus clairement possible cette différence grâce à cette phrase : « La pédagogie est la théorie pratique de l’éducation »
  • Motricité libre ou liberté de mouvement : possibilité qu’a l’enfant de découvrir son corps, ses mouvements, ses postures sans intervention ou intention de l’adulte, dans un environnement sécurisé. En lien avec le développement intellectuel et affectif, l’enfant pourra choisir la position qu’il connaît et dans laquelle il se sent sécurisé pour manipuler, observer, etc.
  • Activité spontanée : l’enfant choisit ce qu’il veut découvrir, le temps qu’il veut y passer, la manipulation qu’il désire, à un ou des moments où il est disposé et peut accorder toute son attention. L’observation permet à l’adulte de découvrir la qualité, la durée que prend le temps de l’activité spontanée.
  • Expérimentation : capacité que l’enfant a de découvrir le monde et les objets qui l’entourent en manipulant, en observant les effets et en en gardant un souvenir qui lui permettra d’avoir un impact sur son environnement (cause à effet). Cela passe aussi par l’acceptation de l’échec, essentiel à l’apprentissage.